Comprendre les métacrises par la pensée systémique

La pensée systémique est une boussole précieuse pour traverser les métacrises, ces crises multiples qui se renforcent mutuellement. Elle permet de sortir du réflexe « pompier » pour redevenir stratège, individuellement et collectivement.

Métacrises : de quoi parle-t-on ?

Le terme de métacrises désigne l’entrelacement de crises écologiques, sociales, économiques, technologiques, démocratiques, géopolitiques, qui ne se contentent pas de coexister mais s’alimentent les unes les autres.

Dans ce contexte, traiter chaque problème comme un « silo » – climat, pouvoir d’achat, santé mentale, polarisation politique, désinformation – revient à soigner les symptômes sans toucher aux dynamiques profondes.

La pensée linéaire, centrée sur une cause unique et une solution rapide, montre ici ses limites.

Ce que change la pensée systémique

La pensée systémique propose de voir le monde comme un ensemble de systèmes interconnectés plutôt que comme une collection de problèmes isolés. Elle invite à observer les relations, les boucles de rétroaction, les effets décalés dans le temps et les conséquences inattendues des décisions. Dans une période de métacrises, cette approche ne garantit pas des réponses simples, mais elle aide à formuler de meilleures questions et à repérer les points d’action à fort effet de levier.

De la causalité simple aux boucles de rétroaction

Dans une logique linéaire, on cherche une chaîne du type « A cause B, donc agissons sur A ». La pensée systémique, elle, met l’accent sur les cycles : des actions qui se renforcent ou se compensent mutuellement, parfois avec un délai, et produisent des dynamiques auto-entretenues. Par exemple, une crise économique peut nourrir la défiance politique, qui affaiblit les institutions, ce qui alimente la difficulté à répondre au défi écologique, renforçant à son tour l’instabilité économique. Comprendre ces boucles ne sert pas seulement à cartographier le chaos, mais à identifier où une intervention ciblée peut transformer la dynamique globale.

Du court terme à la dynamique dans le temps

Les métacrises créent une pression permanente pour « éteindre l’incendie » du moment, ce qui maintient les organisations et les individus dans une vision à très court terme. La pensée systémique oblige à replacer chaque décision dans une dynamique temporelle : quels effets à court, moyen et long terme ? Quelles conséquences indirectes risquent d’annuler les gains immédiats ou de déplacer le problème ailleurs ? Cette extension du regard dans le temps est au cœur d’une capacité de résilience véritable, capable non seulement d’absorber les chocs, mais d’apprendre d’eux.

Cartographier les systèmes pour mieux agir

L’un des gestes clés de la pensée systémique consiste à cartographier un système : acteurs, flux, contraintes, incitations, règles formelles et informelles, narratifs culturels. Cette cartographie, même imparfaite, permet de passer du flou anxiogène à une complexité intelligible. En période de métacrises, elle aide à :

  • repérer les nœuds où de petites actions peuvent produire de grands effets ;
  • distinguer les problèmes « symptômes » des problèmes « structurels » ;
  • comprendre comment soi-même, son organisation, sa profession alimentent malgré eux les dynamiques que l’on subit.

Responsabilité et posture : de spectateur à co-auteur

La pensée systémique n’est pas qu’une méthode intellectuelle, c’est aussi une posture éthique. Elle amène à reconnaître que les systèmes qui produisent les résultats que l’on déplore sont, au moins en partie, co-produits par nos choix, nos habitudes, nos compromis. Cette prise de conscience est exigeante, car elle remet en cause le confort de se considérer comme simple victime des événements. Mais elle est aussi libératrice, puisqu’elle ouvre la possibilité d’ajuster ces choix pour infléchir les trajectoires collectives.

Quelques principes opératoires en période de métacrises

Pour rendre la pensée systémique opérationnelle, plusieurs principes peuvent guider l’action :

  • Penser « relations » avant de penser « solutions » : commencer par clarifier les connexions, les alliances, les antagonismes, les dépendances.
  • Chercher les effets de levier : plutôt que multiplier les micro-actions dispersées, concentrer l’énergie sur les règles, les structures d’incitation et les récits qui organisent le système.
  • Tester, apprendre, ajuster : privilégier des expérimentations réversibles, observées de près, permettant de lire les rétroactions et de corriger la trajectoire.
  • Inclure la pluralité des points de vue : chaque acteur voit un morceau du système ; c’est la confrontation avec d’autres perspectives qui enrichit la compréhension globale.

Pour les éducateurs, leaders et citoyens

En période de métacrises, la pensée systémique devient une compétence civique et professionnelle centrale. Les éducateurs peuvent l’introduire par des cartes de systèmes, des jeux de rôles, des simulations d’effets à long terme. Les décideurs peuvent l’utiliser pour sortir des arbitrages simplistes entre enjeux économiques, sociaux et écologiques, en travaillant plutôt sur les synergies possibles. Les citoyens peuvent s’en emparer pour décrypter les débats publics, repérer les fausses solutions et soutenir des transformations structurantes plutôt que des gestes purement symboliques.

La pensée systémique ne promet ni contrôle total ni certitude, mais une meilleure lucidité au cœur de l’incertitude. En apprenant à voir les systèmes, chacun peut contribuer à faire évoluer les métacrises d’un état subi vers un processus de transformation consciente.

Pour aller plus loin, mon e-book vous donne quelques pistes.

Cartographie causale et boucles de rétroaction

Les diagrammes de boucles causales (Causal Loop Diagrams) représentent les relations de cause à effet entre variables et mettent en évidence les boucles qui renforcent ou stabilisent un système.
Ils sont particulièrement utiles en situation de crise pour identifier les boucles auto-renforçantes (spirales de dégradation) et les boucles de régulation, afin de repérer où une intervention peut casser une dynamique dangereuse ou renforcer une régulation utile.

Modélisation dynamique des systèmes

La modélisation dynamique des systèmes (stocks, flux, délais) permet de simuler le comportement d’un système dans le temps à partir de stocks (réserves), de flux (entrées/sorties) et de règles de transformation.
En contexte de crise (politique, écologique, économique), ces modèles offrent la possibilité de tester des scénarios, d’anticiper des effets différés et de voir comment des rétroactions peuvent amplifier ou atténuer un choc.

Leviers d’action selon Donella Meadows

Donella Meadows propose une typologie de « points de levier » dans un système, des plus superficiels (ajuster des paramètres) aux plus profonds (changer les objectifs, les paradigmes et les récits).
Cette grille aide à ne pas se limiter à des réponses de surface en crise, en orientant l’analyse vers les structures d’information, les règles du jeu et les finalités qui génèrent les comportements problématiques.

Cartographie des parties prenantes et de la gouvernance

La cartographie systémique intègre aussi la cartographie des parties prenantes et des relations entre systèmes sociaux (économique, politique, associatif, etc.).
Elle permet de visualiser les interdépendances, les asymétries de pouvoir et les contraintes qui limitent l’autonomie des acteurs, ce qui est crucial pour comprendre pourquoi certains systèmes politiques ou organisations peinent à répondre aux crises.

Approche systémique des organisations et cybernétique

Dans les organisations, l’approche systémique et la cybernétique s’appuient sur des outils comme les boucles de rétroaction, les indicateurs de régulation et les mécanismes de contrôle pour analyser la stabilité ou l’instabilité d’un système.
Cette approche permet, en période de crise, de repérer les signaux qui montrent une perte de régulation (explosion de délais, conflits, surcharges) et de redessiner les circuits d’information et de décision pour restaurer la capacité d’adaptation.

Si tu veux, une prochaine étape peut être de prendre un de tes systèmes (une organisation éducative, un dispositif pédagogique, un écosystème d’acteurs autour des métacrises) et de le traduire ensemble en carte de boucles causales pas à pas.

Voici plusieurs exemples concrets qui montrent comment la pensée systémique aide à agir dans un contexte de métacrises, en particulier là où s’entremêlent enjeux climatiques, sociaux, économiques et psychiques.

Climat : relier physique, social et éthique

Dans l’éducation au climat, certains dispositifs forment les enseignants à relier phénomènes physiques (CO₂, fonte des glaces, acidification des océans), impacts sur les écosystèmes, inégalités sociales et questions de justice climatique dans une même carte de système.
Concrètement, les futurs enseignants apprennent à passer de « plus de CO₂ = plus chaud » à une vision où politiques énergétiques, modèles de consommation, vulnérabilités sociales et choix éthiques sont articulés pour concevoir des scénarios d’action à long terme.

Politiques publiques : voir l’écosystème plutôt que le service

En gestion publique, l’adoption d’une posture systémique amène certains gestionnaires à considérer l’administration, les citoyens, les associations et les entreprises comme un système de gouvernance dynamique plutôt que comme des blocs séparés.
Cela conduit par exemple à co-concevoir des politiques avec les communautés, à ajuster les mécanismes de participation citoyenne et à modifier les règles internes pour aligner la structure de décision sur les objectifs de développement social, plutôt que d’optimiser seulement un service isolé.

Leadership en métacrises : boucles de rétroaction et limites planétaires

Des programmes de développement du leadership « en métacrise » proposent de former les dirigeant·es à repérer les boucles de rétroaction entre crises écologiques, économiques et sociales (ex. instabilité climatique → tensions sur les ressources → conflits → fragilisation des institutions).
Ces dispositifs combinent étude des limites planétaires, cartographie des interdépendances écologiques et identification de schémas récurrents dans le temps pour orienter des décisions plus adaptatives et éthiques, plutôt que des réponses purement réactives.

Éco-anxiété : transformer l’angoisse en action systémique

Sur le terrain de la santé mentale, certains programmes utilisent la pensée systémique pour transformer l’éco-anxiété en « éco-ambition ».
Les participants y apprennent à identifier des « points d’appui » dans les systèmes (urbanisme, énergie locale, alimentation, plaidoyer) où de petites actions coordonnées (initiative citoyenne, réforme locale, changement d’habitudes) peuvent avoir un effet disproportionné, ce qui redonne du pouvoir d’agir et atténue l’anxiété.

Organisations et territoires : évaluer autrement les politiques

Dans l’évaluation des politiques publiques (par exemple dans des métropoles et départements français), l’approche systémique sert à analyser non seulement les résultats d’un dispositif, mais aussi ses effets indirects sur d’autres politiques (logement, mobilité, cohésion sociale, environnement).
Cette lecture transversale permet d’ajuster les programmes pour réduire les effets pervers (déplacement de problèmes vers d’autres secteurs) et renforcer les synergies, ce qui est crucial quand les crises économiques, sociales et écologiques se nourrissent mutuellement.

Usages transversaux en contexte de métacrises

Plus largement, la pensée systémique est mobilisée pour : relier durabilité environnementale et modèles économiques, repenser les stratégies d’entreprise dans des marchés instables, et concevoir des pédagogies qui mettent les élèves face à des problèmes complexes plutôt qu’à des exercices isolés.
Dans la santé, elle permet d’intégrer dimensions biologiques, psychologiques, sociales et environnementales des maladies chroniques, ce qui est essentiel quand les crises écologiques et sociales aggravent les vulnérabilités sanitaires.

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L’IA au Service de l’Innovation Écologique

La Renaissance de l’Innovation : L’IA au Carrefour de la Transition Écologique et des Métacrises 💡🌱

Nous vivons une époque de bouleversements sans précédent. Les métacrises — ces crises interdépendantes et systémiques (climat, biodiversité, social, sanitaire) — redessinent notre monde, exigeant une réinvention radicale de nos modèles.

Dans ce contexte, l’Intelligence Artificielle (IA) n’est plus seulement un outil d’optimisation, mais une nécessité pour accélérer la transition écologique et forger une résilience face à ces chocs.

La véritable innovation réside aujourd’hui au croisement de ces quatre domaines : l’IA, l’écologie, les méthodes d’innovation et les métacrises.


1. L’IA, Catalyseur d’une Innovation Verte 🍃

L’IA est un moteur puissant pour l’innovation en matière de durabilité. Ses capacités d’analyse de données massives (Big Data) et de modélisation prédictive sont cruciales pour adresser les défis écologiques complexes.

  • Optimisation des Ressources : Des algorithmes de Machine Learning sont déjà utilisés pour optimiser la consommation d’énergie dans les smart grids et les bâtiments, ou pour affiner l’agriculture de précision (irrigation, usage d’intrants), réduisant ainsi les déchets et l’empreinte carbone.
  • Surveillance Environnementale : L’IA analyse les images satellites et les données de capteurs pour la cartographie des écosystèmes, la détection des espèces menacées, et le suivi en temps réel de la pollution (air, eau, CO₂). Des projets comme Wildlife Insights en sont un exemple frappant.
  • Conception Durable : En phase de R&D, l’IA aide à simuler l’impact environnemental des produits et des chaînes d’approvisionnement (approches ESG – Environnementales, Sociales et de Gouvernance), permettant une conception plus durable dès l’origine.

2. Le Défi de l’IA Frugale : Verdir le Numérique 💻🌍

Toutefois, l’IA elle-même n’est pas sans impact. La formation et l’exécution des modèles d’IA, en particulier des Grands Modèles de Langage (LLM), sont énergivores et contribuent à la pollution numérique.

Face à cet « effet rebond » potentiel, une nouvelle exigence s’impose : l’IA frugale.

  • Méthodes d’Optimisation : L’innovation doit se concentrer sur l’optimisation des algorithmes (moins gourmands en calcul), le Data Pruning (élagage des données non essentielles) et le développement de référentiels d’IA Frugale pour mesurer et réduire l’empreinte carbone des systèmes numériques.
  • Transparence et Sobriété : Il est vital de questionner le recours à l’IA et de privilégier des solutions alternatives moins consommatrices, ainsi que d’optimiser l’usage des équipements existants. L’innovation responsable exige de la sobriété numérique.

3. Les Nouvelles Méthodes d’Innovation Face aux Métacrises 🛠️

Les méthodes d’innovation traditionnelles (linéaires et centrées sur le produit) sont insuffisantes face à la complexité des métacrises. Il faut des approches plus systémiques, agiles et centrées sur l’impact.

  • Design Thinking et Systémique : Des méthodes comme le Design Thinking et l’approche Théorie C-K (Concept-Knowledge) sont essentielles. Elles permettent de ne pas seulement résoudre des problèmes existants, mais de co-créer des solutions en profondeur, en intégrant l’utilisateur (humain et environnement) et en explorant des modèles radicalement nouveaux (Océan Bleu). L’itération rapide (Lean Startup) permet d’adapter l’innovation aux réalités changeantes des crises.
  • Innovation pour la Résilience : L’innovation doit désormais viser la résilience des systèmes (villes, chaînes d’approvisionnement, agriculture), plutôt que la simple efficacité économique. L’IA, couplée à ces méthodes, peut modéliser la résilience et tester des scénarios de crise pour identifier les points de rupture et les leviers d’action préventive.

Vers une Innovation Dirigée par la Sagesse 🧭

L’émergence d’innovations à la croisée de l’IA, de l’écologie, des méthodes et des métacrises représente notre meilleure chance de bâtir un avenir durable. L’IA nous donne les outils pour décrypter le monde complexe et optimiser nos actions ; la transition écologique nous donne la direction ; et les méthodes d’innovation nous offrent le cadre pour agir de manière collaborative et itérative.

Le véritable défi est d’aligner la puissance technologique de l’IA avec la sagesse de la sobriété et l’impératif de l’impact positif.

Ce n’est qu’en adoptant une approche d’innovation responsable et frugale que nous pourrons transformer les métacrises en opportunités de régénération.

Pour aller plus loin sur les cas d’usage de l’intelligence artificielle :

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Sur la pensée systémique en action

ou sur les nouveaux métiers de la transition écologique